Déjà durant ses études à l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, qu'elle achève en 1958, Gisèle Van Lange s'adonne volontiers au portrait et peint également des paysages, des natures mortes ou des vues urbaines, qui témoignent d'emblée d'une maîtrise formelle étonnante. Dans des gammes de couleurs sombres, contrastant avec les carnations très pâles pour les portraits, l'artiste modèle son sujet à l'aide d'une touche nerveuse et d'un tracé quelque peu bosselé, sans doute hérité d'un Soutine, qu'à l'époque elle admire particulièrement. La synthèse à la fois fauve et expressionniste qu'elle impose à ses sujets, la mène très vite sur les rives de l'abstraction. À l'instar d'un Nicolas de Staël dont elle découvre l'œuvre vers 1959, Gisèle Van Lange « abstractise » telle architecture, tel paysage ou tel ustensile, à présent biffés de leur troisième dimension, en disposant sur la toile de larges plans colorés aux empâtements généreux et à la touche élargie, issue d'un geste dynamique et expressif. Ce sont de telles œuvres qu'elle présente lors d'une première exposition personnelle à Paris en 1960. Ses voyages en Espagne (à la suite d'une bourse reçue de l'État belge) et en France, notamment en Dordogne, lui donnent alors l'occasion de saisir sur le vif l'essence d'un paysage ou d'un massif végétal, mais qu'elle va décanter et ré-interprêter à travers le prisme de ses propres appréhensions.
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Portrait d'un Italien, 1958 |
Les toits, 1958 |
Taos, 1958 |
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Cataclysme ou Nocturne, 1959 |
Composition noir-vert, 1960-2013 |
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L'année dernière à D., 1961 |
Sepulveda n°1 – Les apparences, 1961 |
Composition nocturne, 1961 |
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Lieu propice, 1961 |
Crâne de cheval, 1962 |
Paysage violet-brun-rouge, 1962 |
Zone, 1963-1964 |
Remarquée alors par le critique d'art Maurits Bilcke, ce dernier la fait figurer dans l'important ouvrage, La peinture abstraite en Flandre, édité en 1963 sous la direction de Michel Seuphor. Il souligne son appartenance au courant de l'abstraction lyrique qui s'impose depuis une dizaine d'années dans le concert artistique européen. Dans les années 1965-66, lorsque la galerie Saint-Laurent organise sa première exposition bruxelloise, surgissent alors de grandes compositions au lyrisme végétal ou organique. En témoigne Ils sont éphémères, cette belle toile de 1968 acquise bientôt par l'État belge, qui confond habilement les souvenirs de la nature et les visions intérieures de l'artiste, le caractère abstrait provenant des deux rameaux disjoints du réel : l'univers psychique de l'artiste, celui qui est pensé et imaginé, et celui qui existe, dont elle a pris trace dans ce qu'elle a vu et enregistré. Les formes extrêmement intriquées appelées par l'artiste du plus profond d'elle-même s'identifient ainsi au foisonnement d'une activité psychique sensible et fébrile.
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I pour ignis, 1964 |
Chanaan, 1965 |
Ombres remuées ou Croissance, 1966 |
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Des oiseaux, 1970 |
Le char, 1970 |
Lieu calciné, 1965 |
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Ombres remuées ou Croissanc, 1966 |
Les arbres 2, 1968 |
Ombres remuées ou Croissanc, 1966 |
Au début des années 1970, peut-être à l'instar d'un Francis Bacon, Gisèle Van Lange se plaît, d'une manière tout à fait originale, à ré-introduire la figure humaine dans ses compositions, ce qui suscite chez elle des métamorphoses anthropomorphes se mêlant à l'univers animal ou minéral, aussi bien qu'aux poussées germinatives et aux intrications organiques du monde végétal. L'artiste produit ainsi des images hybrides à la limite de l'abstraction. En témoignent quelques œuvres-maîtresses, telles Végétal (acquis par la Banque Nationale de Belgique), Être-paysage (acquis par la Province du Brabant), Persona (acquis par l'État), ainsi que la série des Apparition. C'est alors que l'État belge organise dans cinq villes une exposition itinérante de quatre artistes bénéficiaires d'une bourse, dont elle ; à Namur, le critique Georges Fabry titre son article : « Une révélation : Gisèle Van Lange » ; à Bruxelles, dans Le Soir, Paul Caso parle « d'œuvres qui touchent à la plénitude dans des compositions aux savantes évocations poétiques, attentives aux ressources de la nature, à l'éphémère de tant de merveilles qu'elle suggère ».
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En devenir, 1970 |
Végétal (Trois), 1970 |
Être-Paysage, 1971 |
Apparition II, 1971 |
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Persona, 1974 |
Le point de mire, 1978 |
Végétation-enroulement, 1978
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Dès la fin des années 1970, Gisèle Van Lange privilégie à nouveau le portrait, mais à présent exécuté quasi exclusivement au fusain, parfois aussi à l'encre ou au crayon. Vont ainsi défiler durant trente ans de nombreux portraits d'artistes amis comme Jacques Muller, Paul Antoine, André Willequet, Philippe Desomberg, Teddy Magnus, Jacques Moeschal, Serge Creuz, Anne Wolfers, Jean-Michel François, ou de gens d'art qu'elle approcha particulièrement, tels Albert Dasnoy,Guy Toebosch, Jean Goldmann, Serge Goyens de Heusch, Chantal Bauwens, sans compter quelques portraits de commande, ou qu'elle suscita. Avec une étonnante acuité du regard, qui lui permettra de réaliser ensuite maintes études de mémoire, la portraitiste scrute les physionomies dans les frémissements lumineux du fusain, dégageant avec un naturel virtuose, mais intimiste, l'intériorité de ses « modèles ».
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Portrait d'André Willequet 3, 1984 |
Double portrait d'Albert Dasnoy, 1979 |
Portrait de Guy Toebosch, 1983 |
Portrait de Jacques Muller I, 1984 |
Portrait de Serge Goyens de Heusch, 2004 |
En 1973, à l'initiative de René Léonard, conseiller général au Ministère de la Culture, Gisèle Van Lange s'associe à quatre autres artistes (Gabriel Belgeonne, Jacques Muller, Mirko Orlandini et Michel Smolders), afin de former le groupe Manus, et d'exposer avec eux durant quelques années dans divers lieux culturels en Belgique. Trois ans plus tard, en 1976, l'artiste est sélectionnée pour participer à l'aventure d'Artes Bruxellae, une association qui regroupe au départ vingt artistes natifs de Bruxelles, et qui organisera durant quinze ans de nombreuses expositions.
En 1983, Gisèle Van Lange se voit invitée par la galerie bruxelloise Delta. En même temps que son ami sculpteur Philippe Desomberg, l'artiste y montre de grandes toiles et de vastes fusains qui suscitent ce commentaire du critique Alain Viray : « Gisèle Van Lange, qui ose aborder avec maîtrise les grands formats, en dessin comme en peinture, avec un alliage d'esprit conceptuel et une grande sûreté dans les chromatismes chauds et sourds, est un peintre ayant le sens inné du monumental et de l'écriture déliée et poétique ». En 1986, lorsqu'elle reçoit le Prix Pierre Poirier, et tandis qu'elle participe à un autre groupe, Parallèles, Paul Caso parle à son propos « de compositions ésotériques bien à elle, tubulaires et germinatives, qui invitent au dépaysement des présages, de l'enclos et de la nuit ». Cet éloge se voit confirmé par l'attribution à l'artiste, en 1989, du Prix du portrait René Janssens, décerné par l'Académie Royale des Beaux-Arts de Belgique.
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Bleu nuit, 1982 |
Structures végétales, 1982
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À la limite ou Au-delà, les branches, 1983
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Durant les années 1990, l'artiste réalise à l'huile, mais également au fusain sur toile (dans ce cas, l'artiste les dispose volontiers en diptyque ou triptyque), quelques grandes compositions, magistralement menées dans leur organisation plastique, qui ont pour titre En lisière, Forêt, Arbre-feuillage, L'année de la pluie, Paysages-germination, Arbre brûlé, des œuvres d'une grande originalité qui apparaissent à nouveau comme des recompositions-reconstructions mentales de l'univers végétal. Elles sont montrées notamment en 1992 à la galerie Le Triangle Bleu à Stavelot, lorsque le critique d'art Jo Dustin, dans Le Soir, consacre à l'artiste un long article d'une pleine page, qu'il titre « Les multiples possibles. Gisèle Van Lange fusionne les réalités. Et les mutations naissent ». En 1999, une rétrospective de son œuvre est proposée à Bruxelles par la Fondation pour l'Art Belge Contemporain, puis, l'année suivante à la galerie Bastien à Bruxelles. En 2008-2009, surviennent encore quelques grandes toiles carrées aux dominantes bleues, d'une gestualité à la fois souple et ferme (Entre les arbres, Tivoli, Zeugma, Traversée de soleil), que, sur invitation, l'artiste accroche en 2009 aux vastes cimaises de la Maison de la Culture de Namur.
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En lisière, 1989-1991 |
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L'année de la pluie, 1992
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Paysages – Germination (triptyque), 1996 |
Depuis lors, Gisèle Van Lange s'adonne volontiers au petit format, toujours évocateur de la nature et des métamorphoses qui lui sont chères. À l'aube des deux expositions que lui consacrent en février 2014 la galerie Albert Dumont à Bruxelles et l'Espace B à Glabais, et à l'appui de la monographie publiée à cette occasion, on peut penser que l'œuvre de Gisèle Van Lange soit reconnue comme l'un des tout beaux fleurons de l'art belge contemporain.
Serge Goyens de Heusch
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